Au Togo, le secteur de la santé est confronté à plusieurs défis dont le manque de ressources A humaines. Pourtant, la plupart des médecins et infirmiers d’Etat du public possèdent des établissements de soins privés. Autorisé sous certaines conditions, l’exercice en clientèle privée des médecins-fonctionnaires est aujourd’hui problématique.
« L’amélioration de la santé de nos populations dépend en grande partie de la disponibilité des ressources humaines en quantité, en qualité et équitablement réparties sur l’ensemble du territoire national ». Cette citation est extraite du discours de l’ancien Premier Ministre, Kwesi Séléagodji Ahoomey-Zunu lors du lancement en Juin 2014 de l’Observatoire des ressources humaines en santé du Togo. Elle souligne l’importance des ressources humaines dans l’amélioration des soins de santé au Togo. Pour ce faire, cet Observatoire a pour ambition de mutualiser l’ensemble des parties prenantes concernées par la gestion des ressources humaines du secteur. L’objectif est évidemment de parvenir à une santé de meilleure qualité au Togo.
En effet, le secteur de la santé souffre d’un manque flagrant de ressources humaines, qui s’accentue avec la fuite des médecins à l’étranger, en raison des conditions peu favorables de la pratique du métier dans notre pays. « Au Togo, il y a une seule fonction publique qui englobe tous les secteurs, assujettis à une seule et même loi. En France, il existe trois fonctions publiques: la fonction publique d’Etat, la fonction publique territoriale et une troisième fonction publique spécifique à la santé. C’est la fonction publique hospitalière. Cela montre le degré d’importance accordé au secteur de la santé de par sa sensibilité. C’est un métier de haute responsabilité qui se pratique 24h su 24 face à la mort, les maladies », a souligné un responsable syndicale. Selon nos informations, la pénurie est donc profonde surtout au niveau des urgences, les réanimations et les maternités.
Ainsi, en vue de résoudre le problème, il est primordial, selon notre source, « d’instaurer ce qu’on appelle la fonction publique hospitalière ou de santé ». « C’est une étape préalable à partir de laquelle l’Etat pourrait mettre en place une politique de la santé pour les moyen et long termes et une charte nationale de la santé avec une déclinaison en politique de santé et avec des échéances et des priorités », a-t-elle expliqué. Malgré ce problème de ressource humaine, certains médecins et infirmiers du public exercent en clientèle privée. Et cela n’est pas sans conséquence.
Et si on interdisait aux médecins du public d’exercer dans les cliniques privées ?
Selon l’article 182 du Code de la Santé de la République togolaise, « il est interdit, conformément à l’article 12 du statut général d e s fonctionnaires de la République Togolaise, à tout fonctionnaire d’exercer en clientèle privée ». « Toutefois, en fonction des besoins, les professionnels de santé fonctionnaires de l’Etat peuvent être autorisés à exercer leur profession à titre temporaire et renouvelable en clientèle privée suivant les modalités définies par décret en conseil des ministres », souligne-t-on dans le document promulgué en mai 2019 par le Président de la République, Faure Gnassingbé.
Mais face à la prolifération des cabinets médicaux et au manque de ressource humaine dans le secteur de la santé, l’Etat doit simplement interdire aux médecins-fonctionnaires et à toutes les personnes exerçant la profession médicale et paramédicale dans le public de créer ou de travailler dans les cliniques privées. Une décision qui contribuera à valoriser les ressources humaines exerçant dans le secteur public à même de répondre, entre autres, aux besoins des citoyens en termes de prestations médicales. Cette interdiction ne manquera certainement pas de susciter le mécontentement des médecins mais elle nécessaire pour répondre aux besoins des populations.
L’exemple de la Côte d’ivoire et du Bénin…
En Côte d’Ivoire, les médecins fonctionnaires ne sont plus autorisés à travailler dans le privé. Sauf cas d’une convention existant entre les deux entités. En effet, l’article 92 de la reforme (en vigueur depuis juillet 2019) interdit à tout personnel médical exerçant dans le public de travailler dans le privé en dehors d’une convention négociée entre les deux parties. Autrement, ce personnel sera « suspendu de ses fonctions sur une période de trois mois avec suspension de salaire. Et en cas de récidive, le contrevenant est passible d’une peine d’emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amende de 500 mille francs à 5 millions de francs ou l’une de ces deux peines seulement », précise cet article. Quant à l’hôpital qui a employé de manière indue un personnel travaillant au public, il subira une fermeture provisoire ou définitive ainsi qu’une suspension ou un retrait de licence, indique l’article 93.
Au Bénin, les autorisations pour l’exercice en clientèle privée des professions médicales et paramédicales par les agents publics, fonctionnaires ou contractuels ont été suspendues depuis le 25 juillet 2018 par le Conseil des Ministres. Le Conseil des ministres a expliqué que « des hospitaliers ou hospitalo-universitaires consacrent plus de temps aux patients de leurs cabinets privés de soins qu’aux malades des hôpitaux publics, alors qu’ils sont rémunérés par l’état pour prendre soin des patients du public. Cet état de chose impacte négativement la qualité des soins au niveau des centres de santé publics. Les patients sont obligés de recourir aux cabinets privés détenus par ces mêmes médecins qui exercent dans le public ».
Un constat irréfutable, selon certains médecins. «Dans le public, les malades seront bien soignés parce qu’il y aura du personnel présent aux postes. Les secteurs où il n’y aura pas assez de personnel, on s’en rendra compte pour combler les déficits. Le but, selon moi, c’est pour que les gens soient à leurs postes. Plus, ils sont à leurs postes et mieux, le patient aura accès à son médecin, au personnel de soin qui devrait s’en occuper », a indiqué Dr Francis Dossou, président du Conseil national de l’Ordre des médecins du B é n i n a u s i t e lanationbenin.info.
A en croire, Théophile Dossou, Secrétaire général de l’Unité CNHU depuis la prise de cette décision, le secteur de la santé se porte un peu mieux par rapport aux années antérieures. « Aujourd’hui, beaucoup ont compris et ont fait l’option de travailler vraiment pour les hôpitaux publics. La minorité a également choisi d’aller travailler pour le privé. Mais des conditions sont posées dans le privé et n’importe qui ne pourra pas exercer encore en clientèle privée », a-t-il souligné. Outre ces deux pays, d’autres pays comme le Maroc ont pris la même décision.
Les détournements de patients aussi en ligne de mire…
Le détournement des patients du secteur sanitaire public au profit du secteur sanitaire privé est une triste réalité au Togo. En effet, après quelques consultations dans des centres publics, certains médecins ont tendance à réorienter des patients vers les cliniques où ils exercent également. Plusieurs arguments sont avancés pour convaincre le pauvre malade : «C’est mieux équipé », « les prestations sont disponibles»… Mais cela ne se limite pas à l’auscultation des patients. Le phénomène concerne l’ensemble des fonctions hospitalières de soins de santé : examens d’analyses médicales, examens d’imagerie, médicaments, kinésithérapie, parfois même certaines opérations chirurgicales.
Cette pratique est lourde de conséquences dans la mesure où, du coup, certains disciples d’Hippocrate ne trouvent pas mieux à faire que de déserter quasiment les centres de santé publics aux heures de service pour aller honorer des rendez-vous avec des honoraires exorbitants au détriment des centres publics, où se soigne d’ordinaire le togolais lambda. De ce fait, l’interdiction au médecin du public d’exercer dans les cliniques privées pourrait permettre aussi de lutter contre ce phénomène.
Il temps que l’Etat mette un peu d’ordre dans le secteur de la santé. Pour amener les médecins fonctionnaires à faire le choix de la clientèle privée ou l’Etat, un délai leur sera accordé. « Ce délai peut être de deux à trois mois », a suggéré un médecin.